Comment expliquer l’aggravation du risque pénal des chefs d’entreprise ?

Selon un rapport récent du Ministère de la justice, plus de 80 000 personnes morales ont fait l’objet d’une poursuite ou d’un classement de leur affaire par les parquets. Elles représentent 28 % des auteurs d’infraction à la législation du travail, 25 % des auteurs d’infractions financières et économiques et 16 % des auteurs d’atteinte à l’environnement.

  1. Un allongement des délais de prescription en matière pénale

La loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale consacre notamment un doublement des délais de prescription de l’action publique des crimes et des délits.

Alors que jusqu’à présent les délits et les crimes se prescrivaient respectivement après 3 et 10 ans, désormais, l’action publique des crimes se prescrit par vingt années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise et l’action publique des délits se prescrit par six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise.

L’impact en droit pénal des affaires est donc majeur dans la mesure où l’essentiel des infractions concernées sont des délits (escroquerie, corruption, abus de confiance, abus de biens sociaux, blanchiment …) dont la prescription passe ainsi de 3 à 6 ans.

S’agissant des infractions occultes ou dissimulées est consacré au plan législatif le principe jurisprudentiel de la fixation du point de départ de la prescription de ces infractions, non au jour de leur commission, mais de leur possible découverte.

  1. Une dissimulation des infractions désamorcée par le lanceur d’alerte

La Loi du 9 décembre 2016 (dite Loi Sapin II) relative à la transparence à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a créé le statut de lanceur d’alerte.

A titre illustratif, Carolos Ghosn est placé en détention provisoire depuis 3 mois au Japon pour avoir dissimulé au fisc nippon une part importante de ses revenus des dernières années. Son arrestation avait eu lieu à la suite d’une enquête interne menée après le signalement d’un lanceur d’alerte.

Également, le 20 février 2019, UBS, la plus grande banque suisse a été condamnée en France à une amende record de 3,7 milliards pour blanchiment de capitaux par le Tribunal correctionnel de Paris. Une somme à laquelle il faut ajouter 800 millions d’euros de dommages et intérêts à verser à l’Etat français. Nicolas Forissier est l’homme qui a permis la révélation des infractions. Promu responsable de l’audit interne, en 2002, il était chargé de contrôler l’ensemble des établissements français d’UBS.

Nicolas Forissier s’est intéressé à des documents qui recensent les fonds collectés en France avant d’être transférés en Suisse. Il a consigné ses découvertes dans un rapport en prévenant d’abord sa hiérarchie. Contre l’avis de ses supérieurs, il a alerté ensuite l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) et Tracfin, organisme du ministère de l’Économie et des Finances, chargé de la lutte contre la fraude fiscale.

Il apparaît clair que l’évolution des mentalités et du droit procédurale concourent à l’aggravation du risque pénal du chef d’entreprise.

Dans ce contexte, peut-on considérer que le chef d’entreprise est devenu une cible pénale ?

Bouziane BEHILLIL