Les œuvres numériques générées par l’intelligence artificielle, une conjugaison complexe avec la notion de droit d’auteur. Par Bouziane Behillil, Avocat et Ina Blandin, Etudiante.

En 2016, l’intelligence artificielle nommée Benjamin, nourrit d’une multitude d’intrigues cinématographiques, donne naissance au scénario de Sunspring, un court métrage américain réalisé par Oscar Shap. Cette technologie capable de générer sans une intervention humaine un texte de manière contextuelle et créative bouleverse par conséquent le monde de l’écriture.

Par cet exemple, il apparaît évident que l’IA tend à prendre de plus en plus de place dans la création artistique, posant alors de nombreuses questions relatives au statut de cette dernière et à son importance dans le domaine artistique. Ainsi, les idées élaborées par le biais des technologies numériques viennent nous questionner sur le rapport entre l’artiste et la machine robotique.

De façon générale, l’intelligence artificielle fait allusion à la possibilité pour un ordinateur de simuler
l’intelligence humaine et à exercer des actions élaborées. Ainsi, par le développement des modèles génératifs capables d’effectuer une synthèse de nouvelles données par l’apprentissage de régularités se manifestant au cœur d’un groupe de données, le milieu artistique se retrouve sujet à de grands bouleversements. Le marché de l’art depuis l’émergence de cette intelligence artificielle est par conséquent impacté par de nombreux débats relatifs à la place et la contribution de l’artiste dans le processus créatif lorsque ce dernier implique l’usage de l’IA. Nous tâcherons dans cet article d’étudier les enjeux relatifs à cette conjugaison dans le milieu du marché de l’art de l’intelligence à la fois artificielle et artistique.

Aujourd’hui, l’artiste cherche à se réinventer en usant de la robotique comme un outil accompagnant le
processus créatif. L’exploitation de l’intelligence artificielle s’infiltre dans tous les domaines relatifs à l’art,
montrant ainsi une conjugaison entre la créativité et l’IA. L’usage de celle-ci dans le domaine
cinématographique permet, dans le processus de création d’un film, de faciliter la logistique et optimiser le travail mais aussi de repousser sans cesse les limites de la captation d’images en direct. Pour exemple, lors du tournage de The Irishman, réalisé par Martin Scorsese en 2019, un dispositif de filmage par le biais de trois caméras, dont deux infrarouges, permet de filmer les acteurs sans la présence de capteurs faciaux nécessaires aux effets visuels.

L’IA est ici un facteur favorisant le développement d’une intelligence artistique, lui offrant davantage de
possibilité. L’art robotique peut également amener l’artiste à laisser la machine la liberté de composer. L’IA Dall-e, conçue par OpenAI, en est une parfaite illustration, puisque cette dernière peut générer des textes et des images créant des œuvres d’art originales et uniques au moyen des instructions données par l’utilisateur. S’impose alors la question relative au titre de propriété d’une œuvre artistique sur le marché de l’art lorsque se retrouve impliquée une IA dans le processus artistique.

D’un point de vue juridique, l’IA intervient dans la phase de création artistique, suscitant alors des
interrogations en termes de droit d’auteur. Si cette dernière est en partie à l’origine de l’œuvre par sa
compétence génératrice, cette faculté reste cependant subordonnée à son utilisateur. L’IA n’est pas par
essence dotée de la créativité, il est nécessaire de l’associer à une intelligence dite artistique, donc humaine, disposant d’une sensibilité et d’une culture de l’image. L’idée sous- entendue est que l’art ne peut voir le jour sans la présence de l’artiste ou de l’intelligence créative. Les logiciels sont « dépourvus d’émotion » [1], cette émotion revenant à l’auteur qui opère l’IA et qui réalise une sélection des modèles qu’elle lui propose. Mais de quelle façon assurer un droit de propriété à une image numérique pouvant être dupliquée et partager indéfiniment par les tiers ?

Les « Non-Fungible Tokens » (NFT) ou jeton non fongible, un nouvel actif immatériel, permet de certifier la propriété de ces dernières et s’impose ainsi comme une solution. Il est important de souligner que les NFT ne sont pas l’œuvre en elle-même, mais seulement un jeton numérique unique lié à une œuvre, son « sous-jacent ». Ces NFT usent de la technologie de la blockchain [2], qui s’apparente à un registre, auquel est lié un fichier numérique contenant une image, une vidéo, une musique, un texte…

Les NFT s’imposent ainsi comme des certificats d’authenticités, combien même ils ne sont pas reconnus
expressément par la loi. Le premier véritable certificat de propriété numérique d’une œuvre d’art apparaît dès 2014 lors que de la vente pour 1,472 million de dollars d’une œuvre numérique nommée « Quantum » qui y est associé.

Pour ce qui est de la législation française, la loi Pacte du 22 mai 2019 dispose que le jeton est « tout bien
incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien » [3] sans indiquer explicitement le terme de NFT, donnant alors un cadre juridique assez vague à ces jetons numériques. Il est important de notifier qu’aujourd’hui, dans une grande majorité des cas, une personne détenant un jeton n’a pas de droits directs sur l’œuvre à laquelle le jeton est lié, il faut donc être regardant sur les droits associés à ce jeton afin de déterminer si un objet est bel et bien conjugué avec la possession d’un NFT.

Certains protocoles NFT disposent de licences générales établissant les droits lié à la détention d’un NFT. Les smart contracts en sont un exemple. En effet, ces derniers sont des programmes donnant lieu à l’exécution automatique de clauses contractuelles et qui sont attachés aux NFT dans la blockchain. Cela permet, à titre d’exemple, de définir pour l’artiste ce qu’un acquéreur est autorisé à faire ou non, ou encore prévoir la perception d’une commission sur les reventes successives, équivalentes donc d’un droit de suite. Tel que souligne Sydney Chiche-Attali, avocat à la cour, un NFT apparaît dans le monde numérique comme « un nouvel actif, certes produit par une construction intellectuelle, mais qui a une véritable existence et un marché propre ».

Toutefois, l’intelligence artificielle ne peut à elle seule s’imposer sur le marché de l’art comme auteur d’une œuvre, elle lui faut nécessairement une personne physique ou morale derrière. Pour exemple, aux États-Unis, le United States Copyright Office, dont l’objectif est d’enregistrer les droits d’auteur, se refuse à les accorder aux intelligences artificielles. A l’exception de l’œuvre collective, en droit français, l’auteur ne peut être qu’une personne physique. Cette position est défendue par la Cour de cassation dans un arrêt de la Première chambre civile du 17 mars 1982, en ces termes :

« une personne morale ne peut être investie à titre originaire des droits de l’auteur que dans le cas où une œuvre collective, créée à son initiative, est divulguée sous son nom ».

L’intelligence artificielle, bien que reconnue sur le marché de l’art comme un véritable outil à la création
artistique, n’a pas encore la personnalité juridique et de ce fait ne peut s’imposer à elle seule comme un acteur juridique dans le marché de l’art. C’est donc là que s’impose l’intelligence artistique par essence propre à l’espèce humaine.

En définitive, il apparaît évident que le marché de l’art intègre en son sein les œuvres réalisées entièrement ou pour partie par une intelligence artificielle, tout en considérant l’humain à l’origine de l’aspect artistique de cette création. Les NFT sont ainsi une solution pour certifier la propriété d’une œuvre numérique. Cependant, il est de soit de se demander si cette intelligence artificielle, en lui attribuant la personnalité juridique serait à même de remplacer l’artiste dans la réalisation d’œuvres artistiques.

Sources.
Radio France [4]
La Croix [5]
Université de la Sorbonne [6]
Thèses [7]
Social Selling Crm [8].

Auteurs :

Bouziane Behillil, Avocat au Barreau de Paris Cambaceres Avocat [->paris@cambaceres-avocat.com] et Ina Blandin, étudiante licence Droit, histoire et archéologie

Notes :

[1] H. Bersini : https://lactualite.com/techno/lintelligence-artificielle-ne-sera-jamais-artiste/
[2] Technologie de stockage et de transmissions d’informations qui permet à ses utilisateurs, connectés en
réseau, de partager des données sans intermédiaire.
[3] Art. L552-2 nouveau du Code monétaire et financier – CMF
[4]
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-info-culturelle-reportages-enquetes-analyses/marche-de-l-ar
t-qui-achete-les-oeuvres-d-art-realises-a-l-aide-de-l-ia-9163216
[5] https://www.la-croix.com/Culture/A-Hollywood-greve-menace-lavenir-cinema-2023-07-15-1201275454
[6] https://www.sorbonne-universite.fr/actualites/lavenir-de-la-creativite-musicale-sera-t-il-artificiel
[7] https://theses.hal.science/tel-01677928/document
[8] https://www.socialsellingcrm.com/intelligence-artificielle-dans-l-art/

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