Démolition d’ouvrage non conforme ou illicite.

Par Bouziane Behillil, Avocat et Romane Sylvestre, Etudiante.

Une démolition d’ouvrage non conforme ou illicite est livrée à l’aléa, à l’épreuve du contrôle de proportionnalité imposé au juge.
Le juge est parfois bien seul face à un ouvrage illicite ou dont il est demandé la démolition. Il doit mesurer l’impact de sa décision et la proportionner à la gravité des faits illicites.
Ce n’est pas toujours évident.

La proportionnalité, bien qu’aujourd’hui codifiée à l’article 1221 du Code civil, demeure une notion d’origine prétorienne dont il ne peut, pour des raisons évidentes liées à la substance même du terme, qui implique une comparaison entre deux ou plusieurs éléments, exister une définition pratique.

Il peut simplement en être fait une application au cas par cas, laissant ainsi aux juges une large marge de
manoeuvre quant à l’appréciation du poids de tel ou tel autre principe ou élément, dans la balance
proportionnelle.

Statuant au visa de l’ancien article 1149 du Code civil, la jurisprudence a toujours démontré un attachement profond au principe de réparation intégrale, visant à replacer la victime dans l’exacte situation où elle se trouvait avant la survenance du dommage.

En droit de la construction, et notamment en matière de démolition d’ouvrage non conforme, l’application automatique de ce principe réparatoire intégral est très vite apparue sévère.

Les juges du fond devant donc maintenant opérer un contrôle de proportionnalité, lequel consiste
classiquement à rechercher si la démolition de l’ouvrage réalisé constitue une sanction proportionnée à la
gravité des désordres et des non-conformités. La règle est donc assouplie.

Ainsi, la démolition ne pourra plus être prononcée de manière automatique dès lors que le dommage pourra être réparé par des mesures alternatives moins brutales.

Dans un arrêt en date du 6 juillet 2023, la Cour de cassation statuant en matière contractuelle, avait indiqué que le juge saisi d’une demande de démolition reconstruction d’un ouvrage en raison des non-conformités qui l’affectent, doit rechercher, si cela lui est demandé, s’il n’existe pas une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier au regard des circonstances dommageables des non-conformités.

Cette solution apparaissait logique et juste.

Pourtant, par un arrêt publié tout récemment et déjà commenté au bulletin en date du 4 avril 2024, la 3ᵉ
chambre civile de la Cour de cassation a dû une nouvelle fois se prononcer sur le caractère proportionnel d’une mesure visant la démolition d’un ouvrage, en matière extracontractuelle cette fois-ci, et n’a pas suivi sa jurisprudence précitée.


Il était question du recours d’un voisin, tendant notamment à la mise en conformité d’une construction avec les règles de hauteur prévues par un plan local d’urbanisme qui n’avaient pas été respectées et qui le privait ainsi « d’une grande partie de la vue panoramique sur la côte et le littoral ouest, limitant l’ensoleillement dont elle bénéficiait et réduisait la luminosité de l’une des pièces à vivre de sa maison ».

De manière assez surprenante, la 3ᵉ chambre a rejeté le pourvoi formé par le propriétaire de l’ouvrage et a validé sa démolition, comme prescrite par les juges du fond.

Cet arrêt a de quoi laisser le lecteur dubitatif, à mi-chemin entre l’étonnement de ce qui pourrait presque
apparaître comme un revirement, et la simple constatation de l’application discrétionnaire d’une notion aux contours encore très flous.

Quoi qu’il en soit, il ne laisse pas indifférent car il illustre l’incertitude persistante dont font preuve les juges en la matière, et dans laquelle ils laissent, conséquemment, tous les acteurs qui y gravitent.

Les juges ne se sont pas décidés à rejeter ou admettre fermement le principe de proportionnalité, tout en
décidant de la démolition sur ce cas d’espèce… au préjudice du propriétaire.

En effet, la motivation de la Cour, selon lequel « le juge du fond, statuant en matière extracontractuelle, ne peut pas apprécier la réparation due à la victime au regard du caractère disproportionné de son coût pour le responsable du dommage » révèle à la fois que le contrôle de proportionnalité n’est pas tout à fait abandonné, tout en le vidant de sa substance, puisqu’ils ont refusé de prendre en compte l’impact financier pour le responsable du dommage, pour atténuer la sanction.

En cela, les juges ont subrepticement rejeté le principe de la proportionnalité, qui pourtant invite à ne pas
détruire un ouvrage si la conséquence est disproportionnée.

Plus avant, la même motivation permet toutefois de rassurer : « La cour a exactement énoncé que la demande de démolition ne pouvait prospérer qu’à condition d’établir que la construction édifiée en violation des prescriptions du permis de construire avait causé un préjudice direct au voisin ». Le préjudice direct étant établi, la démolition sera accordée en l’espèce.

Il ne s’agit donc pas d’un retour à la démolition automatique dès constatation d’une erreur dans la construction car le préjudice demeure la condition nécessaire de la démolition. Il peut du reste être regretté qu’en contradiction avec la jurisprudence précédente, le préjudice direct soit à la fois condition nécessaire et suffisante dans cet arrêt, car sa seule constatation suffit à ordonner la démolition, sans prise en compte de son coût pour le propriétaire.
Cass, 3ème civ, 4 avril 2024, n°22-21.132.

Auteur :
Bouziane Behillil, Avocat au Barreau de Paris Cambaceres Avocat [->paris@cambaceres-avocat.com] et
Romane Sylvestre, étudiante master 2


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