Rupture brutale des relations commerciales établies : Est-il besoin de réformer ?

Le délit de rupture des relations commerciales existe depuis la Loi Galland du 1er juillet 1996.  L’idée était de protéger le « petit commerce » contre la grande distribution. C’était donc une loi très fortement marquée par la volonté d’intervenir et régenter l’économie. Paradoxalement, la France était dotée d’un gouvernement Balladur néolibéral mais ayant une vision de l’interventionnisme très électoraliste…

Cette loi élargit la liste des pratiques restrictives de concurrence en introduisant notamment l’interdiction de la rupture brutale d’une relation commerciale établie.

C’est la pratique restrictive de concurrence la plus mise en œuvre quantitativement ; elle figure
à L442-6 I 4° du Code de commerce.

Plusieurs centaine de décisions sont rendues par an sur le fondement de cette disposition législative et près d’une vingtaine décisions de la Cour de cassation figurent par an en bon ordre.

Le régime reste pourtant aléatoire et ce par trois aspects :

  1. Une durée de préavis toujours incertaine…

Il n’y pas de réponse claire et précise à la question de la durée du préavis avant de rompre une relation commerciale établie. Celle-ci est appréciée in concreto, au regard de la « nature, de la durée et de l’importance des relations » (Arrêt Cass. Com 11/07/2006, n°04-20592)

Pour remédier à cette insécurité juridique, une partie de la doctrine suggère de fixer des durées
de préavis préfix à respecter selon la durée de la relation commerciale ; de plafonner le délai à six, douze ou dix-huit mois, indépendamment de la durée de l’ancienneté de la relation selon le type de contrat concerné : plus bas pour l’ensemble des relations commerciales ; plus élevé pour les contrats de distribution impliquant des investissements importants.

  1. De nouvelles causes d’exonération jurisprudentielle pour rupture brutale des relations commerciales…

Dans un arrêt en date du 8 novembre 2017, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a pu juger que les conséquences de la crise dans un secteur d’activité sont susceptibles de justifier la rupture de la relation commerciale, sauf abus. La Cour de cassation valide le raisonnement des juges du fond en retenant notamment que la baisse de commande de la société Dorsey, « inhérente à un marché en crise, n’engageait pas sa responsabilité ». Peut-on pour autant considérer que la crise économique serait une nouvelle cause d’exonération de l’auteur d’une rupture brutale relation commerciale établie ?

Rien n’est moins sûr… car ce serait la porte ouverte à tous les abus…

En l’absence de préavis, une rupture soudaine est comme chaque juriste commercialiste le sait, admise seulement dans deux cas prévus par la loi :  l’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou la force majeure caractérisée par un événement imprévisible, extérieur et irrésistible. 

Point de salut donc tant que le Législateur n’a pas tranché…

  1. Un calcul de l’indemnisation incohérent…

Traditionnellement, la jurisprudence indemnise la perte de « marge brute », qui correspond à la différence entre le chiffre d’affaires et le coût d’achat des produits (chiffre d’affaires – achats + stocks).

En pratique, la Cour de cassation ne livre aucune méthode de calcul spécifique à suivre.

Néanmoins, en grande majorité, les juges du fond adhèrent à l’idée selon laquelle le préjudice matériel indemnisable correspond à la perte de marge brute sur le chiffre d’affaires que la victime de la rupture pouvait espérer réaliser.

Or, une partie de la doctrine considère que la perte de marge brute serait inappropriée dès lors qu’elle indemniserait la victime de la rupture brutale en ne tenant pas compte du fait que, le contrat n’ayant pas été maintenu, certains coûts n’auraient pas été engagés par la victime. En cas d’arrêt d’une relation, de nombreux frais variables ne sont plus supportés puisque le distributeur n’a plus d’activité ou que celle-ci baisse. Par exemple, des frais de publicité qui ne sont plus engagés, la préparation des produits avant la vente, etc.

Certaines solutions sont mises en avant :

– Déduction des coûts variable de la marge brute.

– Déduction les coûts variables et les coûts fixes de la marge brute
 

Ces divergences sur le préjudice comme sur les causes d’exonération obligent à repenser le régime juridique… il est vrai que les plaideurs aiment les ruptures pour mieux les dénoncer ou les défendre mais en attendant les entreprises sont plongés dans un « magma » législatif et prétorien de facture instable.

Le régime juridique relatif à la rupture des relations commerciales établie a donc à ne pas en douter, à être ajusté et clarifié.

Bouziane BEHILLIL