Big data judiciaire ou big bang judiciaire ?

Le cyborg avocat contre l’avocat de chair et d’os

A l’heure où les fondateurs de Predictrice, jeune pousse et start-up, ont remporté le concours de pitchs dédié à l’intelligence artificielle, dont l’algorithme analyse les décisions juridiques pour faire gagner du temps aux cabinets d’avocats, se pose la question de l’avenir des professions juridiques.

Cette inquiétude n’est pas dénuée de légitimité dès lors que l’on apprend récemment que le gouvernement estonien a désormais l’ambition d’introduire l’intelligence artificielle dans son appareil judiciaire.

A cet égard, Ott Velsberg, a été engagé par les autorités pour superviser la conception d’un juge-robot dont la mission sera de rendre la justice de façon autonome dans les affaires de délits mineurs, dont les dommages sont inférieurs à 7.000 euros.

Quant à la France elle n’est plus non plus au stade de l’expérimentation.

Une récente étude a soumis une vingtaine d’avocats à un test au cours duquel ils devaient déceler les problèmes dans cinq accords de non-divulgation. Les vingt avocats experts en révision de contrats se sont retrouvés opposés à une intelligence artificielle, LawGeex AI. Cette dernière a réussi à atteindre un taux de précision moyen de 94 %, un chiffre largement supérieur à celui des avocats qui s’élevait à 85 %. Il a fallu en moyenne 92 minutes aux avocats pour mener à bien la recherche contre 26 secondes pour l’intelligence artificielle.

De quoi contrarier les professionnels du droit…

Avec la mise en ligne annoncée de centaines de milliers de décisions de justice dans le cadre du big data judiciaire, des voix s’élèvent pour encadrer la justice prédictive.

Début janvier, le Conseil de l’Europe a publié la première charge éthique européenne sur l’utilisation de l’IA dans les systèmes judiciaires. Ce premier texte continental énonce des principes éthiques à destination des acteurs publics et privés impliqués dans la conception et le déploiement d’outils utilisant des algorithmes pour traiter des données judiciaires.

Il rappelle notamment que l’intelligence artificielle est limitée, que les algorithmes ne sont jamais neutres et qu’ils peuvent engendrer des discriminations et encourage une utilisation positive de l’IA qui garantisse le respect des droits des justiciables, la protection des données et le droit à un procès équitable.

Certains magistrats ont fait connaître de leurs inquiétudes concernant le risque de perte d’indépendance du juge. Le développement des algorithmes prédictifs ne doit pas aboutir à ce que l’intelligence artificielle se substitue, à terme, à l’analyse juridique et au raisonnement des juges.

De surcroît, la mise en œuvre peut porter atteinte au droit à un procès équitable. Le recours à l’intelligence artificielle pourrait difficilement respecter avec rigueur l’ensemble des principes directeurs du procès. En effet, les pièces ne seraient plus examinées, le litige ne serait plus véritablement débattu entre les parties…

D’un point de vue plus positif, la justice prédictive peut être appréhendée comme une opportunité pour l’avocat, en le déchargeant notamment d’un important travail de recherche, et donc lui faire gagner du temps. Il pourra également parfaire sa stratégie en fonction des informations fournies par l’outil : chances de succès, délais prévisibles et moyens de droit à utiliser.

Cependant, peut-on réellement faire l’économie de l’intervention humaine ?

Les clients préfèrent peut-être qu’un avocat examine lui-même les problématiques et prenne soin de leurs occupations.

La nécessaire adaptation aux évolutions numériques ou la préservation d’une proximité avec le justiciable, telle est la question…

D’un côté, l’assurance d’une justice plus rapide, une charge de travail moins importante pour les professionnels du droit mais d’un autre côté, une justice mécanique, mettant à mal tout principe d’indépendance…

En tout état de cause, collaboration ou concurrence, le plus important est d’avoir conscience des risques que l’intelligence artificielle peut engendrer. L’intervention humaine demeurant primordiale pour maîtriser les dangers éventuels de la justice prédictive…

Dernier point : en lisant ce texte, notre algorithme vous a repéré… 😊

Bouziane BEHILLIL